A l’occasion de la 13ème édition du Prix Claude Pompidou, l’équipe « Biophysique du Cerveau » du CNRS-SPPIN de l’Université Paris Cité, dirigée par le Dr Martin Oheim, a été distinguée hier au siège de la Fondation pour ses travaux innovants sur la maladie de Parkinson.
Madame Claude Chirac présidente de la Fondation a remis ce prix de 100 000€ qui permettra au laboratoire du Dr Oheim d’acquérir un laser à impulsion femtosecondes de nouvelle génération pour réaliser des images tridimensionnelles du système nerveux intestinal. Il financera également l’achat d’un ordinateur puissant pour le traitement et la reconstruction d’images, ainsi qu’une mise à jour de l’infrastructure de stockage et de sauvegarde des données.
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Et si le Parkinson commençait dans l’intestin ?
Grâce à une technique d’imagerie nouvelle, une équipe du laboratoire SPPIN (Saints-Pères Paris Institute for the Neurosciences, UMR 8003), rattachée à l’UFR Sciences Fondamentales et Biomédicales de la Faculté des Sciences d’Université Paris Cité, explore comment la maladie de Parkinson pourrait naître dans le système digestif avant d’atteindre le cerveau.
Une approche innovante qui vient d’être récompensée par le prix Claude Pompidou.
À la croisée de la recherche fondamentale et de la pratique pré-clinique, ces travaux ouvrent de nouvelles perspectives pour le diagnostic précoce des maladies neurodégénératives.
Rencontre avec le docteur Martin Oheim, directeur de recherche au CNRS et directeur de l’UMR 8003, un chercheur passionné et défenseur d’une science libre, patiente et créative, loin des logiques de rentabilité à court terme.
Le prix Claude Pompidou récompense vos travaux sur les ganglions entériques des patients atteints de la maladie de Parkinson. Que représente-t-il pour vous et pour votre équipe ?
Ce prix représente beaucoup pour nous. Il récompense les deux premiers articles [1,2] d’une nouvelle thématique de recherche que nous avons lancée au laboratoire il y a environ 7 ans [3]. C’est une belle reconnaissance, mais surtout une visibilité immédiate pour un travail de longue haleine et pour les membres de mon équipe.
Je le vois un peu comme une respiration dans un monde de la recherche devenu très contraint. Cette récompense inattendue montre qu’une recherche fondamentale, patiente, peut encore être valorisée, même lorsqu’elle ne s’inscrit pas dans un plan à court terme avec des “résultats escomptés”, des « jalons » et des « livrables » au bout de deux ans.
Pour moi, ce prix est aussi une forme de liberté : la possibilité de mener des recherches ambitieuses, de creuser une idée jusqu’au bout, sans devoir la formaliser dans un projet de recherche très balisé. C’est cette liberté-là qui permet de vraies découvertes, pas seulement de la recherche incrémentale.
Et puis, bien sûr, c’est une reconnaissance collective. Rien n’aurait été possible sans une excellente doctorante, Doriane Hazart, sans Clément Ricard, maître de conférences et co-encadrant de la thèse de Doriane, sans Marwa Moulzier, ingénieure au laboratoire, ni sans Brigitte Delhomme, qui a coinventé la technique de clarification que nous avons utilisée [4]. C’est une belle récompense pour toute l’équipe. Ce travail n’aurait pas été possible non plus sans la collaboration et les conseils de Pascal Derkinderen, Professeur de neurologie au CHU de Nantes, expert de la maladie de Parkinson et chef d’équipe au sein de l’unité Inserm U913.
Vos recherches au sein du laboratoire SPPIN s’inscrivent à la croisée de la neurobiologie et de l’imagerie. Quelles avancées récentes ou perspectives vous enthousiasment le plus dans vos travaux actuels ?
Ce qui me surprend toujours, c’est de voir à quel point la microscopie continue d’évoluer. Je travaille dans ce domaine depuis près de trente ans, et il y a vingt ans, on pensait que tout avait été fait : les grands principes établis par Ernst Abbe, Carl Zeiss, les microscopes confocaux, biphotoniques … C’était considéré comme une science “mature”. On nous disait qu’il fallait désormais aller vers la biologie moléculaire ou la génétique.
Mais les vingt dernière sannées ont prouvé exactement le contraire, et nous y avons contribué. Dans quasiment chaque paramètre de l’imagerie, la résolution, la vitesse, la taille du champ de vue ou encore la profondeur d’observation, les chercheurs ont franchi des limites qu’on pensait infranchissables.
Cela montre qu’il faut toujours se méfier des idées reçues : en croisant les disciplines et en appliquant des innovations issues d’autres domaines, on peut provoquer de vraies ruptures technologiques. Et c’est ça qui nous passionne.
Dans le projet récompensé, il y a d’ailleurs deux volets complémentaires. Le premier est fondamental : il vise à comprendre comment une protéine, l’alpha-synucléine, se propage à partir de l’intestin jusqu’au cerveau dans les modèles animaux. Cela permet d’explorer les mécanismes précoces de la maladie de Parkinson, sur la très longue durée, avec les possibilités et les limites du modèle de souris. Le second volet est plus appliqué : il repose sur l’imagerie des biopsies humaines. Ce sont des petits bouts de tissu prélevés lors d’une coloscopie. On montre qu’on y peut repérer, dans certains cas, les tout premiers signes de la maladie. Ce n’est pas encore un traitement, bien sûr, mais cela pourra évoluer à un outil de diagnostic précoce qui pourrait, à terme, permettre d’anticiper le risque et d’intervenir plus tôt.
Alors, dire à quelqu’un “vous aurez peut-être un Parkinson dans trois ans” n’est pas une perspective réjouissante, mais scientifiquement, cela ouvre une porte : celle d’une meilleure compréhension et d’une détection plus fine des processus en jeu.
Est-ce que cela permet éventuellement de mieux appréhender les soins ?
Probablement, oui. Jusqu’à présent, on a toujours considéré que certains symptômes digestifs étaient des conséquences secondaires des maladies neurodégénératives, qu’il s’agisse de Parkinson, de la maladie à corps de Lewy ou d’autres pathologies proches.
Nos travaux suggèrent que l’inverse peut-être vrai aussi : le système digestif pourrait être atteint en premier, avant même le cerveau, comme cela a été proposé par le professeur Heiko Braak [5]. Cela change complètement la manière d’envisager la maladie et la prise en charge des patients. Cela signifie aussi qu’il faut prêter beaucoup plus d’attention à ces symptômes précoces, souvent négligés, qui pourraient être des signaux d’alerte bien plus importants qu’on ne le pensait. L’autre grande avancée concerne la manière d’exploiter les biopsies. Jusqu’à présent, on en utilisait une infime partie : quelques coupes très fines, comme des “tranches de saucisse”, qui représentent à peine 10 % du tissu disponible. Avec notre technique d’imagerie, nous pouvons désormais analyser la biopsie dans son intégralité, sans en détruire l’organisation ni la structure. Cela permet d’obtenir une vue d’ensemble du tissu, donc une information beaucoup plus riche à partir d’un tissu non-sectionné, intact, et en bien moins de temps. C’est une véritable rupture technologique : dans un nouveau travail qui n’est pas encore publié nous montrerons qu’il faudrait une vingtaine de coupes pour poser un diagnostic fiable avec les méthodes actuelles, ce qui ne correspond pas à la pratique clinique, par manque de temps, par la charge de travail que cela nécessitait. Notre approche donne accès à la biopsie complète, ce qui permettra de poser un diagnostic rapide et fiable. Je compte utiliser les contacts que j’ai pu avoir lors de la remise du Prix de la Fondation Claude Pompidou pour établir des collaborations avec des services hospitaliers afin de développer notre technique à un point qu’elle soit vraiment utile et utilisable au quotidien,
Recevoir un prix prestigieux est une reconnaissance collective. Y a-t-il un message que vous aimeriez adresser aux jeunes chercheurs et aux étudiants de l’université ?
Oui, un message très simple mais essentiel : malgré les difficultés politiques et budgétaires actuelles, ou plutôt même particulièrement en ces temps qui semblent parfois peu intéressés à la recherche, il faut croire en son projet et suivre sa propre voie. Il y a aujourd’hui beaucoup de signes décourageants dans la recherche, beaucoup de contraintes, mais je pense qu’il est toujours possible de faire de très belles choses à condition de trouver une thématique qui vous passionne, de la poursuivre avec conviction et de bien s’entourer.
Il ne faut pas écouter ceux qui disent “on n’a pas les moyens”, “ce ne sera pas possible”, “l’infrastructure manque”. Ce n’est pas vrai. Si on choisit bien son sujet, si on connaît ses forces et qu’on travaille avec enthousiasme, on peut accomplir de très beaux projets, à toutes les échelles.
Et ce message, je ne le limite pas aux chercheuses et chercheurs : il vaut pour tout le monde. On peut faire un excellent travail qu’on soit mécanicienne ou mécanicien, technicienne ou technicien de laboratoire ou encore directrice ou directeur. L’important, c’est la passion. On ne fait pas ce métier, ni aucun autre, à contre-cœur. Il faut aimer profondément ce qu’on fait, c’est ce qui donne du sens à tout le reste. Et c’est la beauté d’un laboratoire, d’un travail en équipe : on peut faire un joli chemin ensemble.