Histoire

Le bâtiment des Saints-Pères

Chaque bâtiment public est le témoin de son temps. La « nouvelle » Faculté de Médecine n’échappe pas à la règle. Malgré sa silhouette massive et ses allures imposantes, son histoire mouvementée, sa conception technique et ses éléments décoratifs méritent de retenir plus avant l’attention.


Les prémices

La construction du bâtiment est décidée dans les années 1920-30 ; cette faculté devait abriter les étudiants en médecine de tout Paris pour désengorger ce qui deviendra l’ancienne Faculté de Médecine au 12, rue de l’École de Médecine.

La fin de l’hôpital de la Charité

Le terrain envisagé pour la construction fut le quadrilatère délimité par la rue des Saints-Pères à l’ouest, le boulevard Saint-Germain au sud, la rue Saint-Benoît à l’est et la rue Jacob au nord. Il correspond à l’hôpital de la Charité dont l’histoire remonte aux premiers Frères de Saint Jean de Dieu, appelés de Florence par Marie de Médicis en 1613. Au 19e siècle, l’Assistance Publique se crée et absorbe l’hôpital dont la sécularisation correspond au tournant du 20e siècle. La séance du Conseil Municipal de Paris du 30 décembre 1927 décide la vente du terrain à l’Éducation Nationale pour détruire l’hôpital et y construire une Faculté de Médecine.

La fermeture définitive de l’hôpital date du 15 avril 1935 et la démolition commence quelques mois plus tard, en novembre 1935. Cette démolition est rapide, méthodique mais dangereuse puisque trois ouvriers seront sérieusement blessés. Les fondations de la Faculté sont prévues dans le même temps. Les boutiques d’antiquaires qui occupaient la façade de l’hôpital sur la rue des Saints-Pères et qui lui conféraient un charme tout à fait particulier vont disparaître dans un second temps. Seule subsistera de l’hôpital : la chapelle, devenue ukrainienne sous le nom de chapelle Saint Wladimir et dont le choeur est occupé par le petit amphithéatre où professait LAENNEC. Une plaque à l’entrée de cet amphithéatre commémore cet épisode :

 

En septembre 1802 LAENNEC suivit les leçons
de CORVISART dans cet amphithéatre.
Professeur de Clinique le 18 mars 1823,
LAENNEC y donna son enseignement jusqu’en mai 1826,
époque de son départ pour KERLOUARNEC
où il mourut le 13 août 1826.
 

Les grilles de l’hôpital seront remontées à l’entrée de l’École Pratique (15, rue de l’École de Médecine) et la frise de la salle de garde rejoindra le musée de l’Assistance Publique. Dans le grand hall, une plaque gravée dans le marbre perpétue la découverte du BCG :

 

LA VACCINATION HUMAINE CONTRE LA TUBERCULOSE
PAR LE VACCIN BCG DE CALMETTE ET GUÉRIN
FUT APPLIQUÉE POUR LA PREMIERE FOIS EN 1921
PAR BENJAMIN WEILL-HALLÉ ET RAYMOND TURPIN
A L’HOPITAL DE LA CHARITÉ QUI S’ÉLEVAIT ICI
 

Le gros œuvre

La construction de la Faculté commence aussitôt et la cérémonie de la première coulée de béton a lieu le 3 décembre 1936. Le gros œuvre est en béton ; c’est une prouesse technique comportant de nombreuses innovations comme le parquet flottant du grand amphithéatre.

Mais l’élévation primitive sera réduite par arasement à la cote de 76,6 mètres. L’emprise au sol est réduite, elle, de moitié n’atteignant pas la partie est du quadrilatère sur la rue Jacob, ni sur la rue Saint-Benoît.

C’est l’avant-guerre puis la mobilisation, la drôle de guerre et l’occupation. La construction est alors virtuellement arrêtée de 1939 à 1945, sauf pour des abris en sous-sol.

A la libération l’ossature en béton qui avait servi de terrain de jeu aux enfants du quartier est occupée par les Forces Françaises Libres qui remplacent les troupes allemandes. La réquisition est levée mais une explosion se produit dans les sous-sol en 1945. La responsabilité des Armées est évidente mais le dédommagement de l’Université sera incomplet (300.000 francs contre 500.000 francs de dégâts). Le déminage et l’inspection de toute la Faculté sera assurée par une équipe spécialisée. Malheureusement ce travail devait s’avérer incomplet puisque le 4 juin 1951, soit presque à l’achévement du chantier, une explosion, sans blessures d’homme ni dégats matériels importants, se produisait à 14 heures près d’un feu de popote d’ouvriers, pourtant entourée de briques comme le recommandait la sécurité.

La finition

La construction de la « nouvelle » Faculté reprend après la guerre. Ce sera une oeuvre de longue haleine par l’importance en surface et en volume du bâtiment et la situation économique difficile de l’immédiat après-guerre où des besoins de (re)-construction plus urgents pouvaient se faire sentir. Louis MADELINE est le directeur de tous les travaux d’architecture avec Jean WALTER et Paul ANDRIEU. La Faculté de Médecine sera le couronnement de la carrière de MADELINE qui prendra sa retraite en 1953. La conduite des travaux est rigoureuse. L’ossature existe bien avec ses modifications, mais toutes les fermetures, les planchers, les revêtements extérieurs et intérieurs sont à faire. Les installations de plomberie, de chauffage, de ventilation, d’électricité ont été ébauchées avant 1940, mais tout ou au moins l’essentiel reste à terminer.

La façade sur la rue des Saints-Pères et la rue Jacob est construite en pierre de taille de la commune de Chauvigny (Vienne), carrière Peuron. La livraison des pierres dans l’ordre de pose de la construction durera plusieurs années. Le montage en sera très soigneux, éliminant toutes les pierres comportant des défauts. Le revêtement est en mur autoporteur, c’est-à-dire que, bien que relié au béton sous-jacent, les forces de compression verticale sont assurées par le mur de pierre lui-même dont les éléments sont assemblés par des queues de carpe en laiton qui assurent également la liaison avec le béton. La pierre de Chauvigny-Peuron est mi-dure, calcaire oolithique à grain fin, de coloration blanche, tirant un peu sur le jaune, sans fil, avantage qui sera exploité par les sculpteurs des médaillons qui se verront offrir une pierre posée en façade avec le médaillon de 120 cm de diamètre, saillant en gras de taille de 11 cm, soigneusement poli avec le reste de la façade.

La partie artistique

Le programme artistique, les 78 médaillons primitivement prévus et la porte de bronze, est assuré dès la conception du bâtiment et le début de la réalisation, au titre du 1,50 % pour les oeuvres d’art sur le budget des grands travaux. Bien que sous les ordres de Louis MADELINE, la répartition aux différents artistes de la décoration sculptée devait être approuvée par le Directeur de l’École Nationale Supérieure des Beaux Arts, qui était alors Paul LANDOWSKI.

Les médaillons

Paul LANDOWSKI va répartir les 45 premiers médaillons (sujets : de l’Antiquité au Moyen Age) parmi les sculpteurs, anciens élèves de l’École des Beaux Arts et presque tous anciens prix de Rome. À l’origine de la construction du bâtiment, une deuxième série de médaillons aurait dû orner la rue Jacob et la rue Saint-Benoît. La réduction d’emprise au sol de la Faculté entraînera l’abandon du projet de cette deuxième série, dont les sujets (de la Renaissance à nos jours) et les sculpteurs (parmi lesquels Paul BELMONDO) étaient prévus.

Le support matériel des motifs sculptés subira lui-aussi quelques modifications. Au début était prévue une frise continue de motifs rectangulaires de 2,6 mètres de large sur 1 mètre de haut, sous l’encorbellement du premier étage, assurant une intégration poussée de l’art à l’architecture. Cette idée est exécutée sous forme de maquettes de pierre de petite dimension par LAGRIFFOUL (avec trois motifs), tandis que MULLER exécutera deux panneaux rectangulaires en émail polychrome avec Victor CANALE. Après ce projet rectangulaire, l’idée de médaillons ronds est retenue avec une dimension de 1,20 mètre de diamètre, en saillie et en pierre. Ils sont réalisés sur la façade entre juillet 1950 et l’inauguration du 3 décembre 1953.

Pour la moitié environ des médaillons, nous avons retrouvé trace des maquettes en plâtre, grandeur d’exécution. Elles avaient été précédées de maquettes de 30 à 40 cm de diamètre comme esquisses. Les grandes maquettes ou les esquisses devaient être présentées aux autorités pour approbation. Deux sources principales nous ont été fournies : les familles (BRASSEUR, JONCHERE, LAGRIFFOUL, MULLER, NICLAUSSE et SARRABEZOLLES) et les musées (JONCHERE à ANNECY et TERROIR à VALENCIENNES). Nous avons retrouvé également les maquettes grandeur nature de GEMIGNANI (Vésale et Albert le Grand) dans les caves de la Faculté avec l’aide du personnel de l’établissement.


La porte en bronze

La porte en bronze monumentale du 45 rue des Saints-Pères est l’oeuvre de Paul LANDOWSKI. Elle comporte un métope fixe au-dessus des deux battants. Le métope représente en bas relief « la vie d’ASKLÉPIOS » et en avancée « ASKLÉPIOS et un serpent », seules parties en haut relief de tout l’ensemble. La partie basse du métope comporte une frise de petits personnages.

Les battants comportent chacun trois panneaux représentant :

  • en bas, l’homme et la femme entourés des différents mondes de la nature ;
  • au milieu, le couple devant la naissance de l’enfant et devant la mort de l’enfant ;
  • enfin plus haut, différents thèmes mythologiques.

Chacune des trois parties est séparée des deux autres par une frise horizontale de petits personnages.

Les thèmes de la porte en bronze nous ont été transmis par Madame LE FRANÇOIS- AGIS-GARCIN, conservateur du musée-jardin Paul LANDOWSKI.

L’inauguration : 3 décembre 1953

L’inauguration officielle par le Président de la République, Vincent AURIOL, s’effectue en grande pompe dans le grand amphithéatre.

En témoigne dans le grand hall une plaque de marbre gravée :

[(

 

UNIVERSITÉ DE PARIS FACULTÉ DE MÉDECINE.
CET ÉDIFICE A ÉTÉ INAUGURÉ LE 3 DÉCEMBRE 1953
PAR M. VINCENT AURIOL, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE,
M. ANDRÉ MARIE ÉTANT MINISTRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE,
M. JEAN SARRAILH RECTEUR DE L’UNIVERSITÉ,
M. LÉON BINET DOYEN DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE.
 

)]


Les premiers étudiants avaient déjà effectué leur rentrée universitaire dans la Faculté malgré quelques imperfections de finition intérieure. Ils se souviennent encore du caractère éclatant de la blancheur de la façade et de ses médaillons que rend bien une photographie de l’époque.

Conclusions

Aujourd’hui, cet immeuble a perdu la belle couleur naturelle qu’il avait à l’origine. La pollution atmosphérique, essentiellement automobile, a gravement endommagé la façade et en particulier les médaillons qui sont situés sous le premier étage.

L’ensemble sculptural de la faculté est un témoignage monumental de l’art officiel conçu entre les deux guerres bien que réalisé dans les années 1950. La participation de 15 sculpteurs très représentatifs de cette époque doit attirer l’attention et l’intérêt sur cet ensemble unique de notre capitale.

Patrice LE FLOCH-PRIGENT